Portrait N°7 : Emmanuel Bendick, fromager bio à la ferme du pourtérès

L’air du temps de père en fils (tomme 2)

 

Cheveux courts, idées neuves. Emmanuel Bendick a 42 ans, de beaux enfants et une maison à l’ambiance douce et aux meubles design. C’est un jeune homme moderne ancré dans un siècle où il faut rester remarquable parce qu’ici, au cœur de la Vallée de la Bellongue, poste avancé dans les altitudes du Haut Couserans, personne ne viendra vous chercher si un trop plein d’utopie vous rattrape. C’est un homme réfléchi autant qu’un penseur. Entouré d’une vingtaine de laitières qu’il soigne aux huiles essentielles, il compose une tomme tendre et ferme à la fois, élaborée patiemment avec des affineurs : il tient à ses convictions autant qu’au plaisir de sa clientèle. Il ne triche pas sur l’âme du fromage, mais admet que les goûts évoluent. Il s’adapte. C’est un pragmatique,  revenu d’une vie d’assureur par fidélité à ces versants âpres, plus doux aux yeux qu’aux jambes : « il faut faire le choix entre le folklore et la nécessité de vivre, et on ne vit pas sur les idées de son père », plaide-t-il.

Emmanuel Bendick est l’héritier d’une histoire qui n’est pas celle de la petite  cuillère en argent, car la genèse du Poutérès commence bien avant ces temps immémoriaux où internet n’existait pas encore, c’est dire.

Un jour, au loin, apparut un combi Wolkswagen. Autant le savoir, depuis Katmandou  la route d’Augirein passe par plusieurs carrefours. Il a fallu à Wolfgang, le père d’Emmanuel, donner quelques coups de volant, et de barre aussi sur des rafiots improbables, avant d’arriver là, en 1979. Face à cette maison la gueule ouverte jusqu’au toit et les murs édentés. Plus rien, sinon la solitude ; et Wolfgang poussa un cri de solitaire : ici ! Il lui a fallu ne plus rêver et construire son utopie, contenue dans ces raides vallons qui lui servent d’horizon, comme pour cesser de regarder les routes plates et les mers pleines de trop d’infini. Se blottir enfin dans le creux d’une épaule, d’une époque.

Il le revendique. Il l’écrit aujourd’hui dans des livres minutieux : oui, Wolfgang Bendick était un hippie ! Encore que l’imparfait n’a rien de judicieux : Wolfgang Bendick est un hippie. Il a connu tous les moyens de transport qu’ils soient terrestres ou mystiques. Et, chevillés à l’âme, ces principes érigés en valeurs : la liberté, l’amour, la paix des êtres…  Et quelques autres mantras comme « communication avec la nature ».

 Toutefois, Wolfgang ne s’en tient pas au vocabulaire que certains pourraient juger convenu. S’il fuit l’autorité, il a une discipline, il ne croit en rien mais espère de tout. Il pose des actes sur les mots qui le construisent. Plus que du verbe, il a des bras, aussi. Résolu « à ne dépendre de personne », il récusera l’élevage de brebis « parce que c’était subventionné » et préfèrera les vaches pour faire un fromage bio avant la lettre.

Wolfgang n’a rien renié : « j’ai cherché la vérité et la sagesse, je cherche encore ». Soit. Mais peut-être que son monde est à portée de main. Le sait-il ? Car, à n’en pas douter, une part de cette mémoire qu’il cherche à conserver et cette vérité qu’il traque encore,  imprègnent  le fromage que fait maintenant son fils.

Philippe MOTTA

Ferme du Pourtérès – Emmanuel Bendick
Las Passierès, Le Pourterès
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