Portrait N°1: Pascal Jusot, le sabotier de Bethmale

Allégorie du temps qui circule de mains en mains

Séduit par le mystère et les caprices de la légende. C’est un homme qui a renoncé à la précipitation, mais pas à l‘impatience. Pascal Jusot fait des sabots comme on construit une œuvre : dans le souci d’une perfection toujours recommencée. On devine que, pour lui, le plus beau des ouvrages est toujours à venir. Hors ce projet inquiet, tout le reste n’est que vétille. Trente-huit ans maintenant que cet enfant de la banlieue parisienne est arrivé à Arrien, en Bethmale, terre promise du sabot ariégeois qu’il découvre par hasard. Venu pour des vacances avec sa compagne, il est « séduit », dit-il, « par la richesse de tout : faune, flore, architecture… ». Et le sabot ; avec lequel il entre en osmose après avoir rencontré Marcel Catala, le dernier artisan à avoir encore dans les doigts cet emblème si particulier de la vallée. Marcel Catala, initie le jeune Pascal Jusot aux mystères de cet exercice singulier, dont la complétude va du choix de l’arbre au maniement subtil  du boutoir et de la rouanne,  non sans passer par les caprices irrationnels du bois qui parfois se rebelle. Un noviciat, en somme, dont il franchit toutes les étapes jusqu’à l’adoubement du maître, qui lui confie en 1984 le soin de perpétuer la légende.

La mystique du bois et de l’éternité reconduite. Des grimoires perdus expliqueraient que c’est un amoureux éconduit qui un jour inventa la forme si particulière du sabot de Bethmale. Une sombre histoire qui oscille entre vengeance et désir, mais qu’importe, tant il apparait évident qu’elle est emplie d’imaginaire. Reste l’objet. Le sabot qui, lui, ne s’est pas nourri d’inconscient mais est demeuré servi par héritage, un secret partagé par de rares Elus en charge de pérenniser un peu de l’âme unique de cette vallée. Rien, pourtant, ne prédestinait Pascal Jusot à hériter de cette mémoire concrète. Voire, sur le papier, il avait tout faux : parisien, diplômé en électronique, pas de formation adaptée au métier de sabotier ; que demander de pire ?

Reste la transcendance, le jeune homme est saisi : le bois l’appelle. Nous sommes dans l’irrationnel, une quasi-mystique. L’immortalité par l’objet. Une aspiration à l’éternité qui se transmet et circule de mains en mains. Pascal Jusot entre dans cet ordre cosmogonique. Cet engagement relevait de la foi, car à ses débuts rien n’indiquait que cet accessoire, fut-il folklorique, susciterait la curiosité de contemporains, de plus en plus tournés vers le GPS pour obtenir une vision du monde. Toutefois, en dépit de l’avancée inexorable d’une ère 4G, le sabot de bois renoue avec l’esprit retrouvé. Les amoureux des jardins et autres tondeurs de pelouse ont aujourd’hui tendance à jeter leurs savates de plein air (en caoutchouc, au mieux ; en synthétique le plus souvent) pour revenir vers le naturel.  Pascal Jusot ne les trahira pas. C’est un perfectionniste qui a l’œil et la main pour choisir « son » bois. Il n’en laisserait d’ailleurs le soin à personne. Il a l’obligation de ne pas se tromper : plus qu’un savoir-faire, on lui a confié les clés du temps.

Philippe MOTTA

Pascal Jusot
09800 Arrien-en-Bethmale
05 61 96 78 84 – 06 86 12 19 30
pascal.jusot@orange.fr
www.artisan-bois-sabots.fr