Portrait N°5 : Les cochons noirs d’Emily et Justin Woodroffe

Quand la charcuterie unit les peuples.

Survivre au topinambour et à sa bibliothèque. Rien de l’archétype soixante-huitard porté par la légende : c’était il y a quatorze ans et ils n’avaient pas atteint la trentaine. Autant dire qu’ils ne connaissaient du power flower que ce que les livres veulent bien en dire. Depuis Londres, en 2004, Justin et Emily Woodroffe cherchaient un paysage vert. En lançant des lignes sur une carte ils arrivent en Ariège, à mi-chemin entre leur vie d’avant et celle à laquelle ils se préparent : « nous ne voulions pas élever des enfants dans une ville, et on adore skier… ». C’était là l’intention. Le hasard les met sur la route d’un adret retiré, face à un horizon dont ils n’osaient pas rêver, et plus vert qu’ils ne l’auraient imaginé. Las Laous : un exil invisible et perdu dans des bois silencieux. Ils ont la maison. Ils créent un objectif : « être autonomes », dit-elle. Pour résumer sa pensée, elle extrait de sa bibliothèque «Self Sufficiency » (Auto-suffisance) de John Seymour, un guide  de survie alors en vogue à la City, sorte de « Manuel des Castors-Juniors » pour adultes consentants qui, entre deux stations de métro, permet en principe de savoir comment se couper du monde et survivre dans les Highlands, comme à Bornéo ou en Ariège. Motivés ! Ainsi, ils passent leur premier hiver à épuiser navets et topinambours concédés par le jardin et comprennent  que ces pentes ardues resteront  longtemps hostiles au maraichage. Eux aussi. Au premier printemps, ils regardent à l’entour : des chênes et des châtaigniers. « Qui est-ce qui peut bien avoir envie de ça ?», se demande Justin, pertinent. Sans même ouvrir son Self Sufficiency, il pense au cochon. Le destin des Woodroffe est scellé.

L’amour du cochon bien fait transcende les cultures. On leur conseille la brebis, les bovins… ils s’entêtent : le porc. Ils quêtent une race qui ne craint ni les flancs de montagne, ni les hivers hostiles, ni les étés cuisants. C’est ainsi qu’ils entrent dans l’univers méconnu du cochon noir. Du rustique qu’ils sélectionnent en fonction de sa robustesse et non de son pedrigree. Le temps, l’amour et le zen font le reste. Le porc de Las Laous passe sa vie dans les bois, dix-huit mois minimum. Il flâne, se baigne, prend le temps d’aimer. Il mange ce que la nature lui offre, et on le tient scrupuleusement à l’écart des OGM. Pour les adieux à la ferme, on ne le stresse pas avant de monter dans le camion, l’adrénaline n’est pas la bienvenue.

Justin et Emily ont laissé tomber John Seymour qui prend désormais la poussière sur une étagère. Ils ont passé tous les diplômes et agréments, et les plus circonspects des voisins leur ont donné la mention « bosseurs ». D’autant que le royaume du porc noir est aujourd’hui partagé par une quarantaine de vaches élevées en estive pour leur viande. Car on ne se refait pas. Si Las Laous produit de la charcuterie ariégeoise, on ne saurait oublier les origines des Woodroffe qui n’ont rien renié de leurs racines et sacrifient au bacon comme à l’english sausage. « Ce qui compte, c’est le goût », plaide Justin épris de transversalité, fut-elle charcutière. Le succès est au rendez-vous ce qui en soi est plus fort qu’un label, pour qui sait qu’en Ariège on ne badine pas avec le cochon.

Philippe MOTTA

 

Emily et Justin Woodroffe
Las Laous,
Col des Caougnous
09320 Boussenac
05 61 96 69 74 / 06 43 64 38 70
info@laslaous.com
www.laslaous.fr

 

Retrouvez l’ensemble des portraits de la webchronique 1968-2018 Au-delà des utopies, portraits de ceux qui ont créé le futur